B - Les techniques de cristallogénèse :

La cristallogenèse consiste essentiellement à maîtriser les conditions physicochimiques (principalement de température et de pression) lors de la solidification d’un matériau, pour atteindre celles permettant la cristallisation de ce matériau.

Cette maîtrise repose sur deux types d’approche. La première consiste à transformer un constituant naturel dans un état physique initial, appelé phase (solide, liquide ou gazeuse), et à le modifier au cours d’opérations physicochimiques. Cette première approche met en jeu, essentiellement des phénomènes physiques, nous l’appellerons la croissance ou cristallogenèse physique. La seconde consiste à dissoudre le produit de départ dans un bain approprié et à modifier les conditions pour atteindre la sursaturation et ainsi provoquer la cristallisation du minéral recherché. Avec ce second principe, c’est plutôt la chimie qui permet, par dissolution, la croissance cristalline.

1 - La cristallogenèse physique :

Dans le principe de cristallogenèse physique, on distingue la croissance en phase solide, la cristallisation à partir du liquide de fusion et la croissance en phase vapeur.

a - La croissance en phase solide

Ce procédé est assez ancien et utilise deux techniques de la métallurgie : le recuit et le frittage.

Le recuit consiste à chauffer un matériau polycristallin jusqu’à dépasser une température critique, dite de recristallisation, sans toutefois atteindre celle de la fusion. Dans ces conditions, le matériau se restaure, c’est-à-dire qu’une recristallisation s’effectue par germination et croissance de nouveaux cristaux, qui se substituent progressivement à l’ancien édifice polycristallin. L’application d’une pression (recuit sous contrainte) permet généralement d’abaisser la température critique et donc d’accélérer le phénomène de croissance.

Le frittage consiste également à chauffer, sans avoir recours à une fusion complète, mais à partir d’un matériau de base qui est une poudre. L’augmentation de température et l’application de contraintes permettent l’agglomération des grains et la croissance de cristaux.

b - La cristallisation à partir du liquide de fusion :

La croissance en phase liquide (ou bain fondu) permet d’obtenir les meilleurs cristaux synthétiques, mais n’est pas applicable à certains matériaux, notamment à ceux qui présentent une structure cristalline différente à haute température de celle à température ambiante.

Le principe général repose sur la cristallisation à partir d’un germe, ou cristallite, de taille micrométrique qui initie la croissance cristalline du cristal artificiel, et du liquide de fusion du matériau que l’on souhaite cristalliser, qui est mis en contact avec le germe.

Plusieurs méthodes de synthèse sont connues, dont notamment celle de Verneuil, mis au point dès 1891, et celle de Bridgman dérivant d’une tecnhique de cristallisation mise au point dès 1918. Au début des années 1910, Verneuil produisait annuellement plus de 3 000 kilogrammes de corindon synthétique (rubis et saphir). Actuellement, ce sont quelque 200 tonnes par an de corindon synthétique qui sont fabriquées, notamment dans les Alpes françaises et suisses.

Le mode de formation du cristal assure à celui-ci une croissance parfaitement homogène et des qualités optiques isotropes. Cette propriété, et donc les cristaux obtenus par cette méthode, sont utilisés tout particulièrement pour la production de lumière cohérente, essentiellement pour la technique laser.

c- La croissance en phase vapeur :

Les méthodes de croissance en phase vapeur sont fondées sur la sublimation, c’est-à-dire sur le passage direct d’un corps, sous certaines conditions de température et de pression, de l’état solide à l’état gazeux, sans passer par l’état liquide.


D’une manière générale, la croissance en phase vapeur résulte de la combinaison entre deux gaz dont l’un contient le matériau à cristalliser. Par exemple, on peut faire croître du silicium (Si) par réduction d’un chlorure de silicium gazeux (SiHCl3) avec de l’hydrogène (H2) :
SiHCl3 + H2 Si + 3HCl.

Ce mode de cristallisation consiste à porter le gaz aux conditions de sublimation, puis, à faire varier les paramètres de pression et de température pour permettre au gaz de se solidifier et de former un édifice cristallin. Ce type de technique nécessite des pressions très proches de l’ultravide, ce qui est possible avec les techniques modernes dans de grandes enceintes de cristallisation.

2 - La cristallogenèse chimique :

La cristallogenèse chimique repose sur un principe simple : la sursaturation. Ce processus trouve son équivalent naturel dans les marais salants : l’eau de mer, en s’évaporant, devient sursaturée en chlorure de sodium (NaCl), qui alors cristallise. Il en va de même pour bien d’autres minéraux, tels le gypse, l’anhydrite, l’halite, la carnallite, la sylvinite, etc. Tous ces minéraux sont, à juste titre, regroupés sous le terme d’évaporite. Les spécialistes de la cristallogenèse chimique tentent de répliquer artificiellement ce processus avec diverses méthodes, qui peuvent s’appliquer à un grand nombre de minéraux.

a - La croissance en solution :

Trois types de procédés ont été mis au point. Dans le premier, la sursaturation est obtenue par une diminution de température. Par exemple, l’alun de potassium [K2SO4Al2(SO4)3, 24H2O] se dissout dans l’eau pure à raison de 240 grammes au maximum par kilogramme de solution et pour une température de 40 0C. Si l’on diminue cette température, la solution devient sursaturée avec un taux de 9 grammes par degré ; ainsi de petits cristaux apparaissent et troublent la solution. Plus la baisse de température est rapide, plus les cristaux sont gros ; à partir d’une certaine vitesse de refroidissement, un seul cristal apparaît.

Le deuxième type provoque la sursaturation par évaporation de l’eau de la solution, c’est-à-dire au prix d’une augmentation de la température.

Enfin, le troisième type procède à température constante. La méthode de Walker et Kohman, mise au point en 1948, est fondée sur un renouvellement en continu de la solution qui se désature au fur et à mesure de la croissance des cristaux. Ce principe comprend un ensemble de trois récipients : un premier où se déroule la cristallisation, un second contenant une réserve de corps mère (produit à cristalliser) et un troisième, précédé d’un filtre, où la température est plus élevée pour éviter une cristallisation prématurée. Ce réseau forme un circuit fermé où circule la solution.

b - La dissolution hydrothermale :

Certains matériaux se dissolvent difficilement dans l’eau, même portée à ébullition, et ne peuvent donc cristalliser avec la méthode précédente. Par exemple, le quartz ne peut être dissous dans l’eau qu’à des températures comprises entre 300 et 400 °C et des pressions entre 50 et 300 MPa. Les enceintes (appelées autoclaves) utilisées en dissolution hydrothermale permettent d’atteindre de telles conditions.

Le haut de l’autoclave contient des germes, le bas le matériau de base (le corps mère). La température dans la partie basse est plus élevée que dans la partie haute, ce qui induit un déplacement du fluide hydrothermal vers les germes, où il se refroidit et donc se sursature, permettant ainsi la croissance cristalline autour de ces derniers.

c - La dissolution anhydre :

La croissance en dissolution anhydre, encore appelée croissance dans un flux, est utilisée lorsqu’un liquide est trop visqueux – le refroidissement provoque la formation d’un verre ou ne permet pas une cristallisation suffisamment rapide – ou lorsqu’il existe une phase solide à haute température.

Le produit destiné à la croissance cristalline (ou soluté) est mélangé à un solvant (encore appelé sel ou flux) et le tout est chauffé jusqu’à la liquéfaction. Le sel est choisi de telle façon que la température de fusion du mélange est inférieure à celle du soluté ; il s’agit en général d’oxyde de baryum ou de bore, de phosphate ou de vanadate de bismuth ou de plomb, de fluorure de plomb ou de calcium, de borate ou de tungstate de sodium, etc. La fusion du mélange puis son refroidissement permettent ainsi la cristallisation différée et distincte du soluté.

Dans le cadre de ces T.P.E., nous nous pencherons sur la cristallogénèse chimique et nous étudierons plus particulièrement le cas de la croissance cristalline en solution du sulfate de cuivre hydraté (CuSO4), caractéristique par sa couleur bleue. Nous tenterons de mettre en évidence des facteurs pouvant influer sur la vitesse de la cristallisation et la taille de s cristaux.

 

 

 

 

La croissance en phase vapeur, associée à la mise au point de techniques complexes comme le bombardement électronique, l’abrasion ou le dopage atomique, est devenue une technique industrielle importante avec l’essor de la microélectronique. Il est ainsi possible de restaurer la surface cristalline quasi parfaite d’un échantillon monocristallin, d’assurer la croissance de semiconducteurs rares et coûteux sur des surfaces "bon marché" comme le silicium, d’élaborer des structures multicouches (strates de différents cristaux), etc.

 

Comme dans n’importe quel système thermique chauffé par le bas, un gradient thermique s’établit provoquant un mouvement convectif vertical et l’enrichissement continu du fluide hydrothermal. La nucléation – apparition spontanée de cristaux – peut également se produire dans l’autoclave ; ce processus n’est pas sans rappeler les processus naturels de cristallisation dans les géodes (ou druses) sous l’action des fluides hydrothermaux terrestres.

 

Cette méthode de dissolution hydrothermale a été mise au point pendant la Seconde Guerre mondiale pour fabriquer de parfaits monocristaux de quartz et répondre alors aux besoins de l’industrie des télécommunications. Actuellement, plus de 700 tonnes de quartz synthétique sont ainsi fabriquées annuellement dans le monde. Mais bien d’autres cristaux sont synthétisés de cette manière.